En 1924, le plus important constructeur de voitures à vapeur en Amérique, Stanley Motor Carriage, a rendu son dernier souffle : le moteur à explosion s’était définitivement imposé. Pourtant, cette même année, Doble Car a lancé ce qui fut sans doute la voiture à vapeur la plus perfectionnée de l’histoire… et peut-être la meilleure voiture de son temps.
Silencieuse comme un souffle sur la route. Plus rapide que les Lincoln, Cadillac ou autres Packard. Une garantie de 160 000 km sur le moteur.
Au milieu des années 1920, la Doble E était sans doute la meilleure et la plus raffinée des voitures américaines de son époque.
Or, elle fonctionnait à la vapeur. La qualifier de locomotive sur pneus serait un affront : de l’extérieur, rien ne la distinguait fondamentalement de ses concurrentes.
Dans son ouvrage Doble Steam Cars, J. N. Walton raconte que le propriétaire d’une Doble modèle E a parcouru 300 000 km en 20 ans, durant lesquels le seul entretien a consisté en trois changements de trains de pneus, deux nouvelles batteries et une pastille d’acier pour boucher un trou sur la chaudière.
Une famille sous pression
Abner Doble était né en 1890 au sein d’une famille aussi aisée que friande de technologie. Son grand-père avait fondé une fabrique d’outils pour les chercheurs d’or de Californie, que son père avait élargie à la fabrication de roues hydrauliques.
Le jeune Abner fréquentait encore l’école secondaire quand, avec son jeune frère John, il a remonté une vieille voiture à vapeur, dans laquelle ils ont installé un moteur de leur conception.
Admis en 1910 au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), il s’est rapidement désintéressé de ses études pour ouvrir un petit atelier expérimental dans une ville voisine, où il s’est attaqué à la conception d’une voiture à vapeur selon ses vœux.
Assisté encore une fois par son frère John, lui-même brillant technicien, Abner Doble a assemblé un premier véhicule, puis un second.
Ce modèle B était à peine un prototype, mais ses performances lui ont déjà valu des commentaires élogieux dans la presse spécialisée : il passait de 0 à 100 km/h en 15 secondes, « une remarquable accélération », écrivait la revue The Automobile en 1914.
Abner Doble a entrepris à son volant une longue tournée qui l’a mené jusqu’à Detroit, où il s’est mis en quête d’investisseurs.
C’est dans la capitale de la voiture à essence que les deux frères mettent au point en 1916 leur modèle C, sous la marque Doble-Detroit. Le prototype est présenté à l’important salon automobile de New York en janvier 1917. Les articles qui évoquent ses performances suscitent plus de 5000 commandes assorties de dépôts, en provenance d’un peu partout aux États-Unis. En septembre 1917, un bail est signé à Detroit pour la location d’une usine de 52 000 pi2 (4830 m2). L’usine doit être lancée au printemps suivant, mais l’entreprise s’effondre soudainement, alors qu’à peine une dizaine de voitures ont été assemblées.
Abner Doble prétextera la pénurie d’acier provoquée par Première Guerre mondiale, mais les problèmes techniques de la voiture et des mésententes entre les deux frères sur la paternité de ses innovations sont plus vraisemblablement en cause.
Ils retournent penauds en Californie, où John meurt d’un cancer en 1921, à peine âgé de 28 ans. Cinq mois plus tard, Abner et ses autres frères William et Warren fondent la Doble Steam Motors et ouvrent bientôt une usine dans la région de San Francisco. En deux ans, la fratrie et ses employés construisent un nouveau prototype, le modèle D, puis une version encore améliorée, le formidable modèle E.
À toute vapeur
Son fonctionnement ? Nous sommes dans la section Affaires et non dans la section Auto, aussi ne nous étendrons-nous ni sur le sujet ni sous le véhicule. Retenons seulement que la vapeur produite dans une chaudière est amenée sous pression dans un moteur où elle anime des pistons.
Les frères Doble ont remplacé le problématique moteur à deux cylindres des modèles précédents par un nouveau moteur à quatre cylindres, dans lesquels la vapeur exerçait sa pression dans les deux sens, tant à l’aller qu’au retour du piston.
Nul besoin de boîte de vitesse ou de pédale d’embrayage. La puissance de la vapeur sous pression se libérait instantanément à l’aide d’un petit volant placé au centre du volant de direction.
Une version allégée du véhicule a atteint la vitesse 120 km/h en 10 secondes, une accélération ahurissante à l’époque. Et pratiquement sans vibration de surcroît.
Allumage
L’allumage a rarement été mieux nommé que pour une voiture à vapeur : il fallait craquer une allumette pour faire démarrer les automobiles à vapeur Stanley. Des dizaines de minutes pouvaient s’écouler avant que la pression soit suffisante pour faire bouger le véhicule. Pour sa part, la voiture de Doble s’élançait moins de 40 secondes après que la clé de contact avait activé l’allumeur électrique du brûleur.
Le combustible du brûleur, habituellement du kérosène, se consumait plus complètement que le carburant d’un moteur à explosion, entraînant moins d’émissions polluantes.
Avec une carrosserie construite sur mesure, le poids de la bête avoisinait l’éléphantesque total de 5500 lb (2495 kg).
La Doble E pouvaient néanmoins tenir une consommation moyenne de 19 L/100 km, une excellente performance pour une voiture de ce poids et de cette époque. Grâce à un ingénieux système de condensateur, la voiture pouvait parcourir 1500 km sur sa réserve de 4 L d’eau.
Le mieux est l’ennemi du bien
Abner Doble était un incurable perfectionniste, hélas.
Chaque nouvelle voiture assemblée apportait des améliorations sur la précédente, ce qui ne favorisait en rien la construction en série. Malheureusement, ce perfectionnisme ne s’étendait pas aux questions financières. En 1924, de douteuses ventes d’actions ont attiré l’attention des autorités. Abner Doble a été blanchi pour des détails techniques, mais la réputation de son entreprise en est restée souillée.
Pratiquement fabriquée à la main par des orfèvres de la mécanique, une Doble E carrossée pouvait atteindre le prix astronomique de 18 000 $ US.
Boudée par les investisseurs méfiants et les acheteurs impécunieux, frappée par la Grande Dépression, la Doble Steam Motors a définitivement fermé ses portières en 1931.
On estime qu’une cinquantaine de Doble E avaient été construites, dont plusieurs roulent encore de nos jours.
Abner Doble s’est éteint en 1961. Jusqu’à son dernier souffle, dit-on, il a soutenu que la voiture à vapeur était aussi performante, sinon meilleure, que la voiture à essence.
En avance sur leur temps | 1924 : la meilleure voiture à vapeur de l'histoire - La Presse
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