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Saturday, July 22, 2023

Voiture électrique : le futur est-il en avance ? - Le Soleil

Au début du mois, le géant japonais de l’automobile a annoncé au Financial Times avoir réalisé une percée dans ses procédés de fabrication qui permet d’envisager une production de masse d’un nouveau type de batterie, dit « à électrolyte solide », dès 2027 ou 2028. Et le site de l’entreprise parle d’une « production limitée » dès 2025.

Essentiellement, cette technologie de pile, qui doublerait l’autonomie des voitures électriques, est vue comme la voie d’avenir des en transports, comme LA solution à presque tous les défauts des piles « lithium-ion » actuelles, comme il y a dans les voitures et les cellulaires. Mais elle encore considérée comme largement expérimentale.

Dans les piles à « lithium-ion », ou Li-ion, les charges électriques se déplacent à travers un liquide (c’est l’« électrolyte ») entre deux pôles appelés anode et cathode — vers la première pendant la recharge, et vers la seconde pendant l’utilisation. Le même principe vaut aussi pour les piles à électrolyte solide sauf que, comme leur nom l’indique, c’est à travers un solide au lieu d’un liquide que les charges voyagent.

On en sait peu la percée que Toyota prétend avoir réalisée, la compagnie n’ayant pas donné de détails à part le fait que son électrolyte est à base de sulfures, ce qui est un des électrolytes solides dont le développement est le plus avancé. Mais bien des observateurs sont dubitatifs.

« Oui, je suis surpris par cette annonce-là, admet d’emblée François Allard, chercheur à l’INRS et spécialiste des piles à électrolyte solide. La cible de 2025, ça m’apparaît ambitieux, j’aurais plus pensé à 2030 pour les véhicules électriques. […] En laboratoire, on atteint ces vitesses de recharge-là mais ce qui m’étonne, c’est qu’ils ont développé tout le procédé manufacturier autour de ça. Parce qu’il reste encore des défis techniques importants à résoudre de ce côté-là avant de pouvoir commercialiser à grande échelle. »

En 2021, un groupe d’experts jugeaient eux aussi dans les Energy Letters que « livrer une batterie à électrolyte solide qui offrirait les performances, les coûts et la manufacturabilité nécessaires aux véhicules électriques d’ici 5 ans, ou même 10 ans, est ambitieux ».

De son côté, le chercheur en chimie de l’Université de Montréal Mikael Dolle, qui travaille lui aussi sur les batteries « tout solide », estime que l’annonce de Toyota présente une vision « ultra-optimiste » des choses.

« J’ose y croire, dit-il. S’ils sont rendus là où ils disent être, quatre ou cinq ans pourrait être un délai possible pour monter la batterie et la production en échelle, s’ils ne rencontrent vraiment aucun problème. Sauf que pour être dans le milieu depuis près de 20 ans, je sais aussi que c’est très, très rare qu’il n’y ait pas de problème. »

Avantages immenses

On verra dans les prochaines années si Toyota s’avère en mesure de tenir ses promesses ou si certains de ses chercheurs ont pêché par excès d’enthousiasme lors d’une entrevue médiatique — ils ne seraient pas les premiers.

Reste qu’avec leur très longue autonomie et les temps de recharge très courts qu’elles offrent, tout indique que l’avenir des batteries sera solide et que, pour peu que les coûts finissent par être raisonnables, la prochaine génération pourrait faire basculer les transports vers le tout électrique.

Un grand avantage de la batterie à électrolyte solide est son poids. Dans les actuelles batteries Li-ion, les atomes de lithium sont stockés dans une anode en graphite, alors que dans les « solides », l’anode est faite uniquement de lithium-métal, explique M. Allard. Cela fait sauver le poids (considérable) du carbone et cela multiplie par 10 la capacité théorique de stockage de l’anode — mais pas forcément de la batterie complète.

« Pour des raisons techniques, explique le chercheur, on ne peut pas faire des batteries à électrolyte solide qui stockent 10 fois plus d’énergie, mais ça permet quand même de réduire beaucoup la taille de l’anode et de faire entrer deux fois plus d’énergie par poids ou par volume que dans les batteries lithium-ion. »

Pour les véhicules électriques, c’est un point majeur car c’est le poids des batteries Li-ion qui limite l’autonomie : on ne peut pas ajouter de batterie infiniment sans que le véhicule devienne trop lourd. Avec une batterie à électrolyte solide — qui n’est par ailleurs pas inflammable, contrairement aux électrolytes liquides des Li-ion —, on peut donc doubler l’autonomie d’un véhicule et dépasser les 1000 km.

La vitesse de recharge est également un autre avantage énorme du « tout solide », du moins potentiellement. Il faut compter des heures pour recharger les voitures électriques actuelles, alors que cela pourrait ne prendre qu’une dizaine de minutes avec certains électrolytes solides.

«Avec le liquide, explique M. Dolle, c’est seulement une part du courant qui circule dans l’électrolyte sous forme d’ions lithium (Li+), les restes étant des anions [des charges négatives] parce que les charges vont s’équilibrer. Mais un électrolyte solide, c’est l’intégralité du courant qui passe en Li+, ce qui permet de recharger beaucoup plus vite ».

« Mais ça, ajoute-t-il, c’est la théorie. C’est déjà dur à réussir en labo, alors le faire industriellement, c’est encore plus complexe. »

En outre, ajoute M. Allard, les électrolytes solides se présentent souvent sous une forme qui s’apparente à de la « porcelaine, mais très très mince. On parle ici de 100 microns [l’équivalent de 0,1 mm] et moins, alors c’est très fragile. C’est en partie à cause de ça que ça n’est pas encore sur le marché ».

Sans compter — détail qui n’est pas anodin dans un endroit comme le Québec — que les performances de beaucoup d’électrolytes solides diminuent au froid. « En général, dit M. Allard, les technologies actuelles doivent être chauffées pour bien performer, parce la conductivité est plus faible quand il fait plus froid, donc les ions se déplacent moins bien. »

Il reste donc encore bien des fils à attacher avant d’avoir des voitures électriques qui roulent plus de 1000 km sur une charge et qui « font le plein » en 10 minutes. Mais à cause des avantages potentiellement immenses du «tout solide», les efforts de recherche qui y sont investis sont à l’avenant : alors qu’il se publiait une cinquantaine d’articles scientifiques sur les batteries à électrolyte solide au début des années 2000, il en est paru près de 1400 en 2020.

Pour tout dire, juste le partenariat de recherche que Toyota a lancé en 2020 avec Panasonic fait travailler plus de 5000 personnes à aplanir ces difficultés. Alors peut-être bien, oui, que le géant de l’automobile réussira son pari.

Un signe qui sera à surveiller, signale M. Dolle, est que si la date de 2027 tient la route, «on devrait voir apparaître des prototypes d’ici deux ou trois ans».

« Peut-être que Toyota a trouvé la technologie de rupture, ajoute-t-il. Mais il faudra attendre encore un peu pour pouvoir être certain que ce n’était pas juste du positionnement. Toyota accuse un certain retard dans les véhicules électriques, donc l’annonce était peut-être juste un moyen de signaler aux consommateurs que eux aussi prennent le virage du tout électrique. On verra. »

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