Pas facile de passer derrière une icône, symbole de toute une époque. Quoi que vous fassiez, ce ne sera jamais correct, jamais assez. Mais la Mustang II était-elle une si mauvaise voiture que ça?
Pour répondre à ce genre de question, il faut forcément se remettre dans le contexte du moment. L’insouciance des années 60 s’éloigne rapidement et les années 70 démarrent dans un climat de montée des prix d’assurance, de nouvelles normes de pollution et de sécurité et d’un changement progressif des goûts des acheteurs. Et tout ça, c’est avant la première crise du pétrole!
Le parrain
Lee Iacocca est crédité comme le « parrain » de la Mustang. Avec les membres de l’informel comité « Fairlane » (nom du restaurant où ils se réunissaient), c’est en observant les tendances démographiques qu’ils établissent les paramètres de base de la Mustang fin 1961. Huit ans plus tard, l’histoire se répète. Les véhicules importés ne représentent alors qu’un faible pourcentage du marché mais le mouvement s’accélère. Il y a un autre facteur : Iacocca n’aime pas ce qu’est en train de devenir la Mustang. Voici ce qu’il explique dans son autobiographie de 1984 :
« Quelques années après son introduction, la Mustang n’était plus le cheval élégant du début. Elle ressemblait plus à un gros cochon. En 1968, Bunkie Knudsen est devenu le nouveau président de Ford. Tout de suite, il a ajouté un moteur monstrueux avec le double de puissance. Pour soutenir ce moteur, il a fallu élargir toute la voiture. En 1971, la Mustang avait grandi de huit pouces en longueur, six pouces en largeur et pesait près de six cents livres de plus que le modèle original de 1965. Ce n’était plus la même voiture et nos chiffres de vente en baisse le montraient très clairement. Nos clients nous avaient abandonnés car nous avions abandonné leur voiture. »
Iacocca n’est pas ici totalement objectif. Il en profite pour régler ses comptes avec Knudsen (qui lui a soufflé la place de président en février 1968) et oublie que la concurrence s’est réveillée et a sérieusement grignoté les parts de marché de son modèle fétiche. Ce sur quoi il a raison, c’est que la Mustang a pris du poids et du volume (voir les chiffres plus bas).
Lorsque Knudsen est remercié en septembre 1969, Iacocca sent qu’il a enfin les coudées franches (même s’il ne sera nommé président de la « FoMoCo » qu’en décembre 1970). Ainsi :
« Vers la fin de 1969, nous avons commencé à planifier la Mustang II, un retour à la petite voiture qui avait connu un si grand succès. Beaucoup de gens à Detroit pouvaient à peine croire que nous faisions cela, car cela violait une règle non écrite selon laquelle une voiture établie sur le marché ne pouvait être que plus grande - jamais plus petite. Sortir une plus petite Mustang revenait à admettre que nous nous étions trompés. »
Dans quel état?
Ainsi, les plans initiaux d’utiliser la base de 1971 pour le modèle 1974 sont mis à la poubelle. À la place, deux projets sont amorcés, dirigés par Nat Adamson. L’un, baptisé Ohio, consiste à partir de la plate-forme de la Maverick (lancée au milieu du millésime 1969 et reposant largement sur le châssis de la Falcon, elle-même base de la Mustang) alors que l’autre - Arizona -, repose sur la plate-forme de la Pinto, une sous-compacte économique qui doit être introduite pour le millésime 1971.
L’ensemble des studios de design de Ford est mis à contribution, y compris le vénérable carrossier italien Ghia, racheté par la corporation en 1970. De nombreuses avenues sont explorées, même un petit coupé de tendance très européenne avec phares avant escamotables, réalisé en Italie. Finalement, ce sont les croquis de Howard « Buck » Mook qui sont choisis par Lee Iacocca comme base de développement. Pendant ce temps, le projet Ohio est abandonné. Initialement, c’est une version hatchback qui est privilégiée. Il n’est plus question de produire un cabriolet car le gouvernement américain évoque l’idée de les bannir pour raison de sécurité. Lors de tests cliniques fin 1971, il est décidé d’ajouter une version classique à deux portes. Dick Nesbitt en assurera les dessins. Une déclinaison Mercury est aussi développée en parallèle. Baptisée Capri, elle ira jusqu’au stade de la maquette à l’échelle 1 mais le projet sera ultimement annulé, la Capri importée d’Europe se vendant tout compte fait très bien dans le réseau Lincoln-Mercury. Le style de la Mustang II est finalisé début 1972.
Pour l’ingénierie, si le châssis monocoque de la Pinto sert de base, l’empattement est allongé de 2,2 pouces et de nombreux composants sont redessinés pour la Mustang II. Le train avant est spécifique et offre une direction à crémaillère, une première pour la Mustang, et des freins à disque. Cet essieu deviendra par la suite très populaire dans le monde du hot rod . L’ensemble repose sur un sous-châssis séparé relié au châssis principal par 6 coussinets en caoutchouc, ce qui permet de mieux filtrer les bruits et les vibrations. L’essieu arrière, quant à lui, reste à l’« ancienne » : pont rigide, ressorts à lames et freins à tambour. Toujours pour mieux absorber les bruits et vibrations, Ford ajoutera d’importantes quantités de matériaux insonorisants. Enfin, la Mustang II ne sera produite que dans deux usines au cours de sa carrière : Dearborn, au Michigan, et San José, en Californie.
Sacrilège!
La Mustang II est présentée à la presse au mois d’août 1973 et arrive en concessions le 21 septembre 1973. Le « II » ajouté à l’avant serait une idée de Iacocca pour bien marquer la rupture avec le passé. Elle est effectivement plus petite et plus légère que sa devancière (voir tableau ci-dessous).
Mustang 1965 |
Mustang 1973 |
Mustang II 1974 |
|
Empattement (m) |
2,74 |
2,77 |
2,44 |
Longueur (m) |
4,61 |
4.92 |
4,45 |
Largeur (m) |
1,73 |
1,88 |
1,78 |
Hauteur (m) |
1,30 |
1,29 |
1,27 |
Poids (kg) |
1 163 |
1 424 |
1 245 |
Le moteur d’entrée de gamme est un 4 cylindres 2,3 litres, nouvelle variante du 2,0 litres introduit avec la Pinto. Il prendra le nom de l’usine dont il est issu, soit Lima en Ohio. Vient ensuite un V8 de 2,8 litres appelé Cologne, car importé d’Allemagne. Et puis… c’est tout… Où est le V8? Il n’y en a pas! La Mustang II n’a pas été conçue pour accueillir une telle motorisation. Enfin, presque… Puisque le 4 cylindres est uniquement fabriqué aux États-Unis et que le V6 est allemand, Ford du Mexique est obligée d’installer le 302 pc (5,0 litres) produit sur place afin de respecter les normes gouvernementales de contenu local. L’hérésie sera corrigée aux États-Unis l’année suivante (nous y reviendrons) et la Mustang II n’aura que trois moteurs au long de sa carrière et dont les puissances évolueront comme indiqué ci-dessous :
1974 |
1975 |
1976 |
1977 |
1978 |
|
4 cylindres 2,3 litres |
88 ch |
83 ch |
92 ch |
89 ch |
88 ch |
V6 2,8 litres |
105 ch |
97 ch |
103 ch |
93 ch |
90 ch |
V8 5,0 litres |
- |
122 ch |
134 ch |
139 ch |
139 ch |
La boîte de vitesses de série est une manuelle 4 rapports alors qu’une automatique 3 rapports Cruise-O-Matic est optionnelle. Quels que soient le moteur ou la boîte, le rapport de pont est de 3,55:1.
Quatre modèles sont proposés. En entrée de gamme, on retrouve un coupé 2 portes, vient ensuite le coupé 3 portes surnommé « 2+2 » ( vu les dimensions des places arrière), puis la version Ghia, uniquement en 2 portes et qui se distingue par son toit en vinyle et son équipement plus complet, et enfin la Mach 1, seulement offerte avec le V6 et en 3 portes. Comme d’habitude, les possibilités de personnaliser sa Mustang sont nombreuses : climatisation, vitres teintées, console centrale, intérieur de luxe, roues en aluminium, radios, freins et direction assistés, dégivrage arrière, système d’alarme, différentiel autobloquant, suspensions renforcées… La liste est longue! Quatorze couleurs sont disponibles au lancement, dont trois métallisées en option.
Dans sa documentation, Ford recense en priorité comme concurrentes principales des modèles importés comme les Opel Manta, Datsun 610, Toyota Celica et Datsun 240Z. Parmi les concurrentes habituelles des années précédentes (Camaro, Firebird, Javelin, Challenger ou Barracuda), seule la Camaro est mentionnée. Les temps changent!
Comme vous pouvez vous en douter, l’accueil de la presse est mitigé. Tout le monde s’accorde à dire que les performances sont désolantes et que la tenue de route n’a rien de sportif. La finition de l’habitacle et le confort sont par contre notés comme de vrais points forts. Malgré tout, l’auto remporte le titre de « Voiture de l’année 1974 » du magazine Motor Trend, qui explique :
« De toute évidence, la Mustang II de 1974 est la voiture de l’année. Au début, il semblait qu’il y aurait une poignée d’autres prétendants solides, mais à la fin, les réalités de l’époque, la valeur exceptionnelle et l’économie de la voiture ont décidé de la question. Vous voyez, la Mustang II est, par-dessus tout, véritablement une bonne voiture (…) un concept exceptionnel de luxe abordable et de prestige dans un petit format. La sélection par Motor Trend de la Mustang II en tant que voiture de l’année 1974 a été, pour la première fois depuis de nombreuses années, une décision assez facile. »
Par contre, dans son édition 1974, le Guide de l’auto conclut par ces mots : « En résumé, la Mustang II est une voiture pleine de contradictions qu’il est vraiment difficile d’étiqueter. Sur le papier, elle semble posséder tous les éléments de la réussite mais dans la réalité, c’est une tout autre histoire et nous l’aurions souhaitée plus heureuse. Comme nous, les amateurs de conduite sportive seront déçus de son comportement (…) Quant à ceux qui recherchent une petite voiture économique et à l’allure agréable, son prix est plutôt prohibitif. Alors, à qui est-elle destinée? »
Bonne question. D’autant plus que les rapports de ventes des premiers jours sont en deçà des estimations de Ford. La marque comprend rapidement l’erreur qu’elle a commise en fournissant aux concessionnaires des versions très équipées, donc plus chères, en grande quantité. La production est réajustée. Et puis arrive le grain de sable dans l’engrenage : l’embargo pétrolier d’octobre 1973, suite à la guerre du Kippour. Et là, le slogan de lancement de la Mustang II (La bonne voiture au bon moment) prend tout son sens. Les ventes décollent et Ford en sort 385 993 exemplaires d’ici la fin du millésime (voir les chiffres complets à la fin du texte) ! C’est à peine si l’on ne prête pas à Lee Iacocca des talents d’extralucide… En comparaison, les productions des Camaro, Firebird, Javelin, Challenger et Barracuda CUMULÉES atteignent 280 442 exemplaires. Quant aux Javelin, Challenger et Barracuda, elles ne passeront pas l’année. Les temps changent, on vous dit!
Un V8 et puis…
Au cours de sa carrière, la Mustang II connaîtra assez peu d’évolutions. La principale sera l’ajout du V8 en 1975, baptisé dorénavant « 5.0 » (même s’il s’agit techniquement d’un 4,9 litres). Il demandera une légère refonte du berceau avant avec, paraît-il, l’aide des ingénieurs mexicains. Vendu uniquement avec la boîte automatique, il n’autorise pas des performances enivrantes avec un 0 à 60 mph en 10,5 secondes selon Road & Track. Il faudra attendre le milieu de 1976 pour que les choses s’arrangent un peu et que la boîte manuelle soit enfin disponible. Pour 1975, le toit des Ghia reçoit des vitres arrière plus fines, dites « opéra » et de nouveaux ensembles optionnels sont offerts. L’avant des modèles de 1976 est remanié (nouvelle prise d’air sous le capot et insertions décoratives de pare-chocs colorés et non plus chromés). En 1977, un toit T-Top est proposé (fabriqué par ASC et préfiguré par le concept Sportiva II présenté au Salon de l’auto de Detroit 1973). Enfin, une direction à assistance variable est ajoutée en 1978. Plusieurs séries spéciales seront commercialisées au fil des ans (MPG en 1975 et 1976, Stallion en 1976, Limited Edition en 1976), dont deux plus intéressantes que les autres.
La marque du serpent
En 1976, l’heure n’est plus à la puissance mais aux Decal GT, comme l’explique Jim Wangers. Ce dernier est un ancien publicitaire (qui a imaginé les premières campagnes de la Pontiac GTO) devenu concessionnaire Chevrolet. En 1974, il s’associe avec Dave Landrith pour créer Motortown. Elle va concevoir et fabriquer des projets spéciaux pour différents constructeurs (Plymouth Volare Road Runner, Dodge Aspen R/T ou Pontiac Can Am). Avec la Cobra II, Wangers cherche à faire renaître l’esprit des Shelby Cobra originales… au moins esthétiquement. L’ensemble comprend des bandes de couleur, une prise d’air non fonctionnelle sur le capot, des déflecteurs à l’avant et à l’arrière, de plus grosses roues et des persiennes sur les vitres latérales. Chez Ford, personne n’y croit et il faudra l’implication personnelle d’Edsel Ford II, fils aîné d’Henry Ford II, le grand patron, pour que le projet aille de l’avant. Ford pense en écouler à peine 5 000, mais se trompe d’un facteur 5 et en vend près de 25 000 durant le millésime 1976 (peut être en partie grâce au placement produit dans la série Drôles de dames avec Farrah Fawcett au volant). Ford brise son contrat avec Motortown et rapatrie la fabrication des Cobra II sur ses chaînes pour 1977. Au début uniquement peintes en blanc avec bandes bleues, les Cobra II seront offertes en noir à bandes dorées en cours d’année, en souvenir des Shelby GT350-H. Pour 1977, quatre couleurs sont disponibles et le style des bandes décoratives est revu en milieu d’année.
En 1978, Ford crée l’« ultime » Mustang II avec la King Cobra. Elle reçoit un aileron avant plus massif, des déflecteurs de roues arrière, un dessin de serpent sur le capot (les bandes latérales disparaissent) alors que le V8 5,0 litres et la direction assistée viennent de série. L’ensemble coûte 1 253 $ US (contre 677 pour une Cobra II), ce qui limite sa diffusion à 4 318 exemplaires.
S’adapter ou périr
Après le bon départ de 1974, les ventes baissent (voir ci-dessous) mais restent au-dessus du niveau des années 1971-73.
1974 |
1975 |
1976 |
1977 |
1978 |
Total |
|
2 portes |
17 7671 |
85 155 |
78 508 |
67 783 |
81 304 |
490 421 |
2 portes Ghia |
89 477 |
52 320 |
37 515 |
29 510 |
34 730 |
243 552 |
3 portes |
74 799 |
30 038 |
38 053 |
37 213 |
56 081 |
236 184 |
3 portes Mach 1 |
44 046 |
21 062 |
9 232 |
6 719 |
7 968 |
89 027 |
3 portes Cobra II |
24 259 |
11 948 |
8 009 |
44 216 |
||
3 portes King Cobra |
4 318 |
4 318 |
||||
Total |
385 993 |
188 575 |
187 567 |
153 173 |
192 410 |
1 107 718 |
Peu performante, moins excitante que ses ancêtres, la Mustang II n’est pas aimée des amateurs, c’est certain, c’est normal. Pourtant, en s’adaptant aux évolutions rapides du marché dans les années 70, elle s’est bien vendue et a dégagé des profits pour Ford. La compagnie a pu alors investir dans les Fox body de 1979 et maintenir la lignée jusqu’à aujourd’hui, contrairement à d’autres marques. Un petit mal pour un grand bien en quelque sorte!
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