Aux aurores à Murdochville, ville minière suspendue à plus de 500 m d’altitude dans la région des monts Chic-Chocs, le thermomètre de ma voiture indique –29 °C. Je me frotte les mains de satisfaction (et aussi pour les réchauffer). C’est la météo dont je rêvais afin de tester la voiture électrique dans des conditions hivernales difficiles. Et de vérifier si la baisse d’autonomie par temps froid, que les détracteurs de l’électrification des transports soulignent à grands traits, la rend inadaptée au climat québécois ou pas.
Sauf un jour à Percé, le mercure n’est jamais monté plus haut que –20 °C en journée pendant mon tour de la Gaspésie, un périple de 2 000 km entamé à Montréal fin janvier 2022, au volant d’un véhicule utilitaire sport (VUS) électrique. J’ai affronté des tempêtes et de la poudrerie, roulé quotidiennement sur des routes enneigées et glacées. L’hiver gaspésien, je l’ai vécu à fond.
Selon le Guide de consommation de carburant de Ressources naturelles Canada, le modèle ID.4 à traction intégrale de Volkswagen (prêté par le constructeur) avec lequel j’ai fait le voyage dispose d’une autonomie de 394 km, de quoi relier Montréal à Baie-Saint-Paul sans pause. Dans le grand froid, je n’ai cependant pas réussi à rouler au-delà de 290 km sans devoir m’arrêter pour recharger la batterie, ce qui représente environ 25 % d’autonomie de moins qu’annoncé.
Le froid augmente la résistance interne de la batterie et diminue la tension. Plus le mercure chute, plus la batterie en subit les conséquences. (La froidure ralentit aussi la vitesse de recharge, mais il est difficile de dire à quel point, puisque chaque modèle répond différemment aux températures froides.) J’ai constaté que l’autonomie affichée sur le tableau de bord, l’équivalent de l’indicateur de carburant, pouvait me mener moins loin que prévu, car elle dépend des conditions routières et de la conduite. Bien sûr, le froid et les conditions routières nuisent aussi à la performance des moteurs à combustion, mais dans ces cas-là c’est juste stressant, car le plein des voitures à essence se fait rapidement.
« En roulant à 120 km/h sur une autoroute enneigée, on dépense plus d’énergie pour faire la même distance qu’à 100 km/h sur une autoroute dégagée », illustre Benoit Charette, coauteur du guide L’annuel de l’automobile 2023. Donc, on parcourt plus de kilomètres en roulant doucement, vent dans le dos, qu’en roulant rapidement avec un vent de face.
Sur le strict point de vue de l’autonomie plus faible par grand froid, les détracteurs de l’électrification ont donc raison. Toutefois, d’année en année, la résistance au froid des véhicules électriques (VE) s’améliore. L’intégration récente sur certains modèles d’une pompe à chaleur, qui réchauffe la batterie quand on conduit, fait progresser les choses.
Ce dispositif se standardise sur certains modèles et se vend en option sur d’autres. « On ne devrait plus acheter au Québec un VE sans pompe à chaleur », dit Jesse Caron, expert automobile à CAA-Québec. Le véhicule que je conduisais était équipé d’une telle pompe, une option offerte pour 1 500 $.
Il est vrai aussi que le plein d’électrons ne se fait pas comme un plein d’essence, en quelques minutes seulement. Faire passer le réservoir d’énergie de 10 % à 80 % demande au moins une heure avec une borne de recharge rapide. Le Circuit électrique d’Hydro-Québec en compte actuellement plus de 600, contre 2 821 postes d’essence au Québec (données de 2019), mais la grande majorité des recharges se font à la maison. Et le nombre de bornes augmente rapidement. Durant les sept premiers mois de 2022, Hydro-Québec a mis en service 83 nouvelles bornes rapides.
Il reste que, même pour un road trip, un minimum de planification s’impose. Par exemple, on coordonne la recharge avec une pause repas, en cherchant à l’aide d’une application, comme Circuit électrique ou ChargeHub, une borne située près d’un restaurant — de préférence un établissement qui ne fait pas dans la restauration rapide, rien ne presse !
C’est ce que j’ai fait à deux occasions en route vers la Gaspésie, lors de mes 855 km sur la très panoramique route 132. En revanche, une fois dans la péninsule, j’ai très peu rechargé la batterie en chemin, car durant la nuit je tirais profit des bornes gratuites qu’offrent les lieux d’hébergement, une pratique très courante en hôtellerie. La voiture reprenait des forces pendant que le sommeil m’aidait à faire de même.
Par ailleurs, j’ai eu beaucoup moins froid dans l’habitacle que lors de mes visites précédentes, en voiture à essence. Dans ce type de véhicule, il faut attendre que le moteur se réchauffe pour sentir la chaleur, alors que dans un VE, la chaufferette s’active instantanément, comme un séchoir à cheveux. Le dégivreur aussi.
Le volant et les sièges chauffants consomment peu d’énergie, ce qui a une faible incidence sur l’autonomie de la batterie. Hydro-Québec suggère d’ailleurs de préchauffer le véhicule pendant qu’il est encore connecté à son réseau plutôt que de puiser dans les réserves de la batterie.
Au total, notamment grâce aux recharges nocturnes gratuites, mon voyage de 2 000 km m’a coûté 130,79 $ en énergie. Dans un VUS doté d’un moteur à combustion, l’aventure m’aurait coûté au moins 322 $ en essence (10 litres aux 100 km, à 1,61 $/litre, prix en vigueur durant ma virée gaspésienne). Chaque matin, je repartais avec une autonomie de 280 km, bien supérieure à mes besoins quotidiens, en quête de sentiers de ski ou de raquette. Jamais je n’ai eu à faire la file pour une recharge.
J’ai bien éprouvé quelques problèmes à me connecter aux bornes, faute de m’être familiarisé avec l’application Circuit électrique au préalable. Par exemple, avant d’effectuer une recharge, on doit déposer de l’argent dans l’application pour payer la transaction, sinon ça ne fonctionne pas. J’ignorais ce détail. Je croyais qu’il fallait payer après la recharge.
Autre ennui : pendant une nuitée à Percé, la recharge de mon véhicule s’est arrêtée de façon inexpliquée à 2 h du matin. J’ai donc commencé ma journée avec 80 km d’autonomie de moins que prévu. « C’est le genre de pépin que rencontrent parfois les électromobilistes », dit Jesse Caron, de CAA-Québec. J’avais sans doute mal connecté mon pistolet de recharge.
Les batteries sont à la fois un avantage et un désavantage en hiver. Oui, le froid réduit leur autonomie de 20 % à 50 %, selon les modèles et le degré de froidure. Mais répartie sous l’habitacle, la batterie alourdit le véhicule et abaisse son centre de gravité, ce qui améliore la stabilité des VE. « Même les VE à deux roues motrices se distinguent dans la neige par rapport aux voitures à essence, précise Jesse Caron. En plus de leur meilleure adhérence, la plupart possèdent une propulsion arrière plus efficace sur une chaussée glissante qu’une traction avant. Pour cette raison, on entend rarement des histoires d’électromobilistes embourbés dans la neige. »
Le seul moment où j’ai regretté le moteur à essence, c’est au retour, lorsque j’ai dû brancher la voiture sur une borne dans un parc industriel à Lévis. L’endroit était un désert, sans trottoirs ni commerces sauf un dépanneur. Pendant une heure, je me suis ennuyé à mourir. C’était bien loin de la beauté gaspésienne !
Grandeurs et misères de la voiture électrique en hiver - L’actualité
Read More
No comments:
Post a Comment