Payer 1500 $ pour un achat comptant
Laurane Pouliot, jeune étudiante, ne peut se passer de voiture pour aller à l’université ou pour se rendre au travail. En mars dernier, elle est impliquée dans un accident de la route. Elle s’en tire indemne, mais son véhicule est une perte totale. Elle doit rapidement en trouver un autre.
Sa mère repère une Mazda rouge 2015 chez Hyundai Sherbrooke, annoncée à 12 487 $. Elle fait un dépôt par téléphone pour réserver la voiture. Elle précise d’emblée que sa fille paiera comptant.
« Parce que, pour moi, c'était important qu'elle ne s'endette pas. »
Ce n’est qu’une fois chez le concessionnaire, alors que Laurane essaie la voiture, que Stéphanie Beaudin apprend qu’il y aura des frais de 1500 $ de plus si sa fille paie comptant.
Toucher la ristourne des banques
Le vendeur de Hyundai Sherbrooke tente de convaincre Laurane d’opter pour le financement. Il lui explique qu’il touchera une ristourne de la banque si elle contracte un prêt. Si elle paie comptant, ni lui ni le concessionnaire n’auront droit à cette ristourne.
Il propose même à la jeune femme de contracter un prêt et de le rembourser en six mois, pour éviter les intérêts. Avec en prime un rabais équivalent à six mois de frais d’intérêts.
« Il me met ça sur un beau plateau d'or. Il me dit : "Moi, si tu fais financer, je vais avoir une ristourne. C'est juste six mois, ça va être facile à faire, puis ça ne te coûtera pas une cenne de plus. Finalement, tout le monde est gagnant. Moi, j'ai mon argent. Toi, ça te coûte pas plus cher." »
Les banques offrent des ristournes aux concessionnaires lorsque la voiture est financée. Des ristournes qui peuvent atteindre plusieurs centaines de dollars, voire jusqu’à 1500 $ par voiture vendue.
Une loi bafouée
La Loi sur la protection du consommateur est pourtant claire : un commerçant ne peut exiger un prix supérieur à celui qui est annoncé, hormis les taxes de vente.
« Je sais que la pratique est inacceptable. C'est une violation pure et dure. [...] C'est scandaleux. »
Hyundai Sherbrooke ne serait pas le seul concessionnaire à exiger des frais supplémentaires pour un achat comptant.
Des sources nous confient qu’il s'agit d'une pratique courante dans l’industrie automobile.
« On fait rentrer les clients en concession avec un prix qui est bas, puis après ça, on essaie d'augmenter leur paiement. Du début jusqu'à la fin, il y a toujours des tentatives pour augmenter le profit. »
Hyundai Sherbrooke a refusé notre demande d’entrevue. Mais au téléphone, le propriétaire Renaud Fortier nie avoir exigé des frais de 1500 $ à sa cliente et admet du même souffle que ce serait illégal de le faire : Qu’on ait dit à la madame, parce qu’elle paie comptant, qu’on lui chargeait 1500 $ de plus, c’est complètement faux [...] On ne peut pas dire on charge au client 1500 $, c’est complètement illégal
.
Pourtant, dans un entretien enregistré par Laurane lors de la transaction, on entend le vendeur dire qu’il a les mains liées, que la commande vient d’en haut.
« Je trouve ça de valeur, mais j’ai un boss au-dessus de moi qui met de la bouffe sur la table chez nous. Fait que veux, veux pas… regarde. »
Une culture institutionnalisée, selon l’APA
L’APA dénonce depuis des années ce qu’ils appellent les faux frais : frais d’ouverture de dossier, frais administratifs, trousse de départ, frais de transport. La liste est longue. L’APA affirme recevoir de nombreuses plaintes chaque année.
« C'est une vraie épidémie. C'est une culture institutionnalisée. »
Selon une enquête de l’Office de la protection du consommateur, réalisée en 2018 : 47 % des 175 commerçants ayant fait l'objet d’une vérification auraient facturé des frais illégalement. C’est presque un commerçant sur deux.
Un changement d’huile pour une voiture électrique
Vanessa Gervais a eu toute une surprise quand elle a acheté sa Nissan Leaf 2018 en octobre dernier chez Park Avenue La Prairie. Non seulement elle a écopé d’une pénalité de 500 $ parce qu’elle payait comptant, mais elle a dû aussi débourser 395 $ pour un forfait obligatoire qui incluait… un changement d’huile.
« Ils ont dit que tous les véhicules, quand on les achetait, ça venait avec un forfait qu'on était obligé de payer. Moi, je pense que c'est une manière de faire plus d'argent sur le dos des consommateurs. Puis nous, on est obligés de payer si on veut la voiture, sinon ils vont la vendre à quelqu'un d'autre. Mais je me fais avoir, dans le fond. »
Le Group Park Avenue a refusé notre demande d'entrevue. Par écrit, il nous précise que : Les faits que vous soulevez remontent à près d’un an et plusieurs changements ont été apportés à nos processus [...] certains éléments [...] font l’objet d’un processus judiciaire [...] il ne nous est pas possible de commenter davantage.
Des recours collectifs en attente d’approbation
Vanessa Gervais est à la tête d’une des quatre actions collectives intentées contre plus de 200 concessionnaires automobiles au Québec, qui auraient, selon la poursuite, exigé un prix supérieur au prix annoncé à de nombreux clients lors de l’achat d’un véhicule. Ces recours sont pilotés par Me Jimmy Lambert de la firme Lambert Avocats.
« C'est comme ouvrir une boîte de Pandore lorsqu'on a déposé ce recours collectif là, jamais je n'aurais pensé que ça aurait paralysé le bureau à ce point-là. Chaque jour, on reçoit des dénonciations [...] on reçoit de la nouvelle preuve. Au début des dépôts des recours collectifs, je croyais vraiment qu'on ferait changer les choses. Et maintenant, je me rends compte que c’est tellement ancré dans ce domaine-là. »
Une pratique lucrative
Nos sources nous confirment qu’il s’agit d’une pratique courante dans l’industrie qui peut rapporter de 500 $ à 750 $ par voiture vendue. On parle ici de centaines de milliers de dollars par année pour les concessionnaires qui font fi de la loi.
« C'est très payant, oui, les frais de concession [les frais additionnels] c'est quand même très très payant [...] En termes de vendre de l'air, c'est de l'air payant. Tu t'essaies, si tu ne te fais pas pogner, bien c'est du profit. Ça sert juste à gonfler le prix. »
La corporation des concessionnaires automobiles du Québec sur la défensive
La Corporation des concessionnaires n’est pas du même avis. Son président, Robert Poëti, ne croit pas que cette pratique est répandue.
« Il y a un avocat débusqueur [Me Jimmy Lambert] qui prétend des choses et qui dit hors de tout doute : "Voici, les concessionnaires ont transgressé la loi". Ça, ça sera un juge qui va devoir le faire [...] L'industrie de l'automobile, c'est 45 000 employés. C'est 900 concessionnaires au Québec. [...] si on a quatre-vingts ou dix transactions qui sont questionnables ou qu'on doit vérifier, on va le faire. Maintenant est ce qu'on est devant une pratique qui englobe l'ensemble des concessionnaires? Je ne le crois pas. »
3 concessionnaires sur 10 visités exigent un prix supérieur au prix affichés
Nous décidons de faire nos propres vérifications chez différents concessionnaires visés par les recours. Nous visitons 10 concessionnaires, munis de caméras cachées.
Dans une simple démarche de magasinage, sans aller jusqu'à acheter la voiture, nous constatons que chez trois d’entre eux, des frais supérieurs au prix affiché sont exigés.
Chez Auto Max à Saint-Jean-sur-Richelieu, notre collaborateur demande au vendeur le prix final d’un modèle Highlander annoncé à 35 995 $.
Sur une estimation rédigée à la main, un mot attire son attention : frais
.
Ce n’est que lorsque notre collaborateur pose des questions sur ces frais qu’il apprend qu’il s’agit d’une option, d’un forfait esthétique au coût de 396 $.
Or, non seulement un commerçant ne peut exiger un prix supérieur au prix annoncé, mais tout ajout de produit ou de service doit être à la demande du consommateur. Ici, notre collaborateur n’a rien demandé.
Le propriétaire d’Auto Max, José Santos, refuse de venir s’expliquer à la caméra, mais au téléphone voici ce qu’il nous explique : Dans nos feuilles de vitre du véhicule, ça marque clairement : programme d’esthétique du véhicule optionnel. C’est marqué optionnel et on le demande verbalement. Est-ce que vous voulez avoir le programme d’esthétique à 396 $?
, explique José Santos, propriétaire d’Auto Max.
Pourtant, le propriétaire lui-même avait inclus ces frais dans le calcul sans avoir discuté de cette option au préalable avec le client.
Chez Beauport Nissan, dans la région de Québec, le vendeur met tout en œuvre pour imposer le financement.
« Si ce n’est pas financé, je ne pourrai pas vous le vendre. Si on fait un financement, il n’y aura pas de problème. »
Autre faux pas, ce même vendeur a l’intention d’exiger des frais de 123 $ en lien avec le RDPRM, le registre des droits personnels et réels mobiliers.
« Pour faire un prêt, il y a toujours un montant à charger. Tout le temps. Ça, c’est toutes les banques. »
Pourtant, selon l’Office de la protection du consommateur, les frais de RDPRM doivent être aussi inclus dans le prix annoncé.
Beauport Nissan n’a jamais donné suite à nos demandes d’entrevue.
Chez Saint-Jérôme Chrysler, au nord de Montréal, un vendeur exige des frais de 699 $ pour la préparation du véhicule.
« C’est la mise en marché du véhicule, plein d’essence, lavage, inspection, puis toutes sortes de patentes. C’est 699 $ versus 2000 $ pour un char neuf. »
Or, Saint-Jérôme Chrysler a plaidé coupable en décembre 2020 et a été condamné à payer 12 000 $ d’amendes pour avoir exigé un prix supérieur au prix annoncé sur son site web.
Saint-Jérôme Chrysler a aussi décliné notre demande d’entrevue parce qu’il est visé par une action collective, mais nous écrit : Nous contestons la prétention à l’effet que nous chargeons un prix supérieur à celui annoncé.
Selon nos sources, les amendes, même les plus salées, ne suffisent pas à freiner cette pratique.
« Quand on fait, mettons 50 000 $ en frais dans ton mois, puis que pour l'année tu as une contravention, une amende de 20 000 $, c’est une joke [...] N'importe qui qui reçoit une petite tape sur les doigts comme ça ferait juste continuer à le faire. »
Liste des concessionnaires condamnés pour avoir exigé un prix supérieur au prix annoncé
- Entrepôt Auto Durocher condamné à deux reprises : 3000 $ en 2019 et 26 000 $ en 2021 (Nouvelle fenêtre)
- Bérard Autos Choix : 25 233 $ en 2021 (Nouvelle fenêtre)
- Saint-Jérôme Chrysler Jeep Dodge : 12 000 $ en 2020 (Nouvelle fenêtre)
- Autozoom.ca inc. : 9000 $ en 2021 (Nouvelle fenêtre)
- Chomedey Hyundai - 9000 $ en 2020 (Nouvelle fenêtre)
- Auto Max : 8000 $ en 2021 (Nouvelle fenêtre)
- Blainville Chrysler Jeep Dodge inc. : 6000 $ en 2020 (Nouvelle fenêtre)
- Le Complexe de l'Auto Park Avenue inc. : 6000 $ en 2019 (Nouvelle fenêtre)
- Le Centre d’occasion le Prix du gros-Québec : 6000 $ en 2018 (Nouvelle fenêtre)
Liste des Concessionnaires qui étaient sur le point de perdre leur permis et qui ont signé des engagements volontaires
- Complexe de l’auto Park avenue inc (1145403433) - Août 2022 (Nouvelle fenêtre)
- Hyundai Drummondville (9429-6399 Québec inc.) - Mars 2022 (Nouvelle fenêtre)
- AUTOZOOM.CA inc. (1165461832) - Octobre 2021 (Nouvelle fenêtre)
- Auto Durocher (9131-2561 Québec inc.) - Juillet 2021 (Nouvelle fenêtre)
- Chomedey Hyundai (2552-4018 Québec inc.) - Août 2020 (Nouvelle fenêtre)
Vous achetez une voiture? Attention aux frais illégaux! - Radio-Canada.ca
Read More
No comments:
Post a Comment