Quand le froid s’installe, Sabrina Venne déteste sa voiture, une E-Golf Comfortline 2020, premier modèle entièrement électrique de Volkswagen. « C’est vraiment amour-haine, surtout haine pendant l’hiver », dit-elle.
Sabrina Venne avait acheté son véhicule pour se rendre au travail, soit un trajet de 120 km. On nous avait dit qu’avec la E-Golf, il n’y aurait aucun problème
, précise-t-elle. Mais, selon elle, ce n’est pas le cas en hiver.
Sabrina Venne estime que l’autonomie annoncée de 198 km de sa voiture diminue à 110 km lorsque le mercure descend sous les -20 degrés Celsius. Or, en janvier dernier, de telles températures ont été observées environ une journée sur deux à Montréal.
Selon les conditions météo, Sabrina Venne estime perdre entre 35 % et 45 % d’autonomie. Résultat : ses déplacements lui prennent plus de temps, puisqu’elle doit recharger sa voiture plus fréquemment sur la route. Il faut que tu prévoies du temps supplémentaire pour ça. L’hiver, c’est entre 30 et 45 minutes de recharge. Et des fois, c’est l’achalandage au niveau des bornes
, ajoute la conductrice.
Jean Groulx, lui, est un homme heureux au volant de sa Mustang Mach-E 2021, un véhicule entièrement électrique du fabricant Ford. Il apprécie la conduite et l’apparence de son bolide. Mais il est déçu de l’autonomie de sa voiture en hiver, qui fond comme neige au soleil. L’hiver, on m’avait dit qu’on perdait un tiers d’autonomie. C’est vraiment plus 50 % que 30 %.
Selon ses observations, les 491 km d’autonomie annoncés pour sa voiture chutent à quelque 250 km par temps froid. Si je vais voir un client à Québec, je ne me rends pas à Québec. L’été, je suis capable d’aller à Québec et de quasiment revenir
, soutient ce passionné de voitures.
Étonnement des automobilistes
Pour Montréal et Québec, janvier dernier a été le plus froid depuis 2004. Bien des propriétaires de véhicules électriques en ont vu les effets, selon CAA-Québec. Cette année, le téléphone n’a pas dérougi. Beaucoup d’appels de gens qui ne savaient pas que l’autonomie allait être réduite à ce point
, explique Jesse Caron, expert automobile au sein de l’organisme.
En fait, les batteries des véhicules électriques réagissent mal au froid et sont conçues pour un climat plus chaud. Leur température de fonctionnement idéale, c'est de 15 à 25 degrés Celsius. On parlerait plus de température californienne que d'une température québécoise
, ajoute l’expert. Fait à noter : le temps froid a aussi des conséquences sur les véhicules à essence. Mais l’impact n’est pas le même. Un véhicule à essence perd aussi beaucoup de son rendement l'hiver. La seule chose, c'est qu'on ne le remarque pas parce qu'on peut aller mettre de l'essence à n'importe quelle intersection
, précise-t-il.
Des essais routiers pour mesurer l’autonomie
L’éditeur et propriétaire de L’annuel de l’automobile, Benoit Charette, a voulu en avoir le cœur net. C’est pourquoi il a mené ses propres essais sur 21 voitures électriques par une température de -16 degrés Celsius.
Les résultats de ces tests seront publiés dans la prochaine édition de son livre. Mais d’ici là, il a accepté de partager avec nous quelques-unes de ses observations. Sur l'ensemble des 21 modèles qu'on a testés, disons qu’il n'y a personne qui a rencontré les chiffres qu'on annonce de façon officielle. 20 % à 30 %, c'est les meilleurs qui perdent ça l'hiver. La moyenne est beaucoup plus entre 30 % et 50 %
, explique-t-il.
Selon lui, une réduction d’autonomie de batterie de 50 % par temps froid n’est pas anecdotique. C'est assez commun de perdre près de 50 % l'hiver.
Benoit Charette donne l’exemple de trois véhicules électriques qu’il a testés cet hiver et qui ont respectivement perdu 40 %, 45 % et 51 % d’autonomie, même s’il dit avoir fait attention pour économiser sa batterie.
Le point de vue des concessionnaires et fabricants
Les automobilistes, interrogés par La facture, auraient aimé avoir l’heure juste de la part du vendeur. Ils disent n’avoir découvert l’ampleur du problème qu’après l’achat. Le concessionnaire Ford, où Jean Groulx a acheté sa Mustang Mach-E, dit faire preuve de transparence quant à l’effet du froid sur l’autonomie des batteries. Celui de Sabrina Venne, qui roule en Volkswagen E-Golf, ne nous a pas répondu.
Pour Jesse Caron de CAA-Québec, il faudrait que les données sur l’autonomie hivernale soient plus clairement affichées. Cette information-là, elle est connue. Mais elle n’est pas nécessairement inscrite en grosses lettres dans la publicité que les constructeurs font
, affirme-t-il. Par ailleurs, pour Benoît Charette, les vendeurs connaissent encore mal les particularités des véhicules électriques.
Le président de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ) n’est pas de cet avis. Aujourd'hui, je considère que nos gens sont qualifiés pour être capables de vendre un véhicule électrique et expliquer aux gens les impacts du froid sur leur véhicule
, explique Robert Poëti.
La CCAQ fait valoir qu’elle a développé des capsules de formation destinées aux vendeurs, où l’impact du temps froid sur la batterie est bel et bien expliqué. Mais selon les fabricants, mis en cause dans ce reportage, et la CCAQ, la perte exacte d’autonomie en hiver demeure impossible à chiffrer parce que plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. On ne peut pas spontanément dire : "mais votre véhicule va avoir moins 50 d'autonomie l'hiver". Ce n'est pas exact, dépendamment du trajet que vous faites, de la vitesse que vous faites, du chauffage que vous allez utiliser. C'est peut-être 30 %, mais parfois, ça peut être 40 %. Moi, personnellement, je calcule toujours 50
, explique Robert Poëti.
Adapter sa conduite
Au volant de sa E-Golf, Sabrina Venne dit avoir changé sa façon de conduire pour économiser sa batterie. Elle utilise les routes secondaires plutôt que l’autoroute, où sa voiture est plus énergivore. Mais malgré tout, son véhicule électrique ne répond pas à ses besoins en hiver. Elle a donc dû emprunter l’auto à essence de son père pour traverser la saison froide sans tracas. Avoir su, est-ce que je l'aurais acheté? Non, non, parce que c'est un enjeu. C'est tellement un enjeu que ça remet en question l'achat.
Jean Groulx, lui, est malgré tout heureux d’avoir un véhicule électrique avec la hausse spectaculaire du prix de l’essence. D’autant que le temps d’attente pour les modèles électriques les plus prisés est de huit à dix mois. Il y a beaucoup d’économies même si la voiture est plus dispendieuse. Je pense que ceux qui n’ont pas de voiture électrique aimeraient bien ça, avoir la mienne
, dit-il fièrement.
Le véhicule électrique se démocratise. Selon l’Association des véhicules électriques du Québec, près de 300 000 personnes possèdent une voiture hybride ou entièrement électrique au Canada. Presque la moitié sont au Québec. Beaucoup d’automobilistes découvrent donc à l’usage toutes les particularités de cette technologie relativement récente. Ce sont des modèles qui sont accessibles au grand public depuis environ une dizaine d’années. On est encore un peu en phase d’expérimentation
, raconte Jesse Caron de CAA-Québec.
En attendant une nouvelle génération de batterie mieux adaptée à l’hiver, les automobilistes n’ont d’autre choix que d’adapter leur conduite pour limiter la perte d’autonomie, notamment :
- en branchant le véhicule à la maison et en le gardant dans un endroit chauffé;
- en réchauffant l’habitacle de la voiture lorsqu’elle est toujours branchée;
- en utilisant le chauffage des sièges et du volant;
- en diminuant sa vitesse et en limitant les accélérations brusques.
« C'est un nouvel apprentissage, la conduite d'un véhicule électrique. Les gens pensent parce qu'il y a un volant puis quatre roues, c'est la même chose qu'un véhicule à essence. C'est faux. Ce n'est pas la même chose. »
Des automobilistes refroidis par la performance de leur véhicule électrique en hiver - Radio-Canada.ca
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